Tout le monde à la baille !!

Écrit par Francois Desombre

Les roues tournent à fond et le sable gicle sous les pneus de la voiture qui reste plantée là. Elles s’enfoncent dans le sable, irrémédiablement. Plus le chauffeur lutte pour la sortir de là, plus les roues s’enfoncent. Ça promet ! Encore si on était dans le Paris-Dakar, il y aurait les hélicoptères, l’assistance, la dépanneuse climatisée, des blondes et des boissons rafraîchissantes. Mais là, sur la plage de Trévou-Tréguiniec ! Comment faire ? Couvert d’un ciré de marin jaune, le gars sort de la 205 blanche. D’un bon coup franc, il se cogne la tête au passage de la portière tant la voiture est basse maintenant, ainsi posée sur le sable à même le châssis, les quatre pattes ensablées jusqu’à la garde. Il se couvre le front et se met à jurer, la tête inclinée, tourné vers la mer. 

 

Là, la pire perspective se révèle et, d’un coup sidéré, tendant le cou, il la scrute, il le sait : marée montante… Il avance vers la mer, piétine rageusement le sable mouillé qui s’approche un peu plus à chaque vague, puis il se retourne et découvre alors une dizaine de personnes, des vacanciers, le regard fixé sur lui. 

 

Ils sont là, tranquilles, les bras croisés et s’apostrophent, bonne occasion de causer : 

“- ah ben, n’avait qu’à pas aller sur la plage avec sa bagnole…

- son bateau, l’avait qu’à le pousser.

- et pis y l’est tout seul, c’est pas malin, on remonte pas un voilier tout seul.

- ‘tain, son moteur, il va le tuer !

- il est bien dans la mouise, hein ?”

 

“-  Oh le pauvre !”, compatit une jeune femme.

Mais ils restent là, les bras ballants… la langue bien pendue.

 

Le gars semble paniquer maintenant. Il a appelé quelqu’un au téléphone mais ça ne semble pas le rassurer. Il cherche une planche des yeux, une toile, quelque chose à mettre sous les roues. Il aperçoit quelques bouts de branches séchés au pied de la dune, courre les ramasser, revient à la voiture, plante les bouts de bois dans le sable contre les pneus, se met au volant et tente le tout pour le tout d’un grand coup d’accélérateur. Le moteur rugit, ça fume, ça pue la gomme brûlée mais la voiture ne sort pas de son trou. 

 

“- l’est pas dans la merde !

- keski peut faire ? Y va exploser la culasse !

- ah oui ; et pis l’eau monte…”

 

Effectivement, les vagues ne sont plus qu’à un ou deux mètres et les plus gaillardes viennent déjà lécher la pare-choc. Dans dix minutes, la voiture sera vraiment dans l’eau et ça sera grave.

 

Arrive alors sur la plage, tranquille, un grand gars accompagné de quatre enfants, dont deux garçons de douze ou treize ans, déjà grands. Ils viennent du camping juste en face de la plage pour se baigner. L’homme, grand, costaud, scrute la scène et comprend tout de suite.

 

“Ben quoi ?” dit-il, “on ne va pas le laisser comme ça !”

Il pousse ses deux garçons à l’épaule, attrape les filles par la main et se dirige vers la voiture ensablée. Au passage, il fait signe aux badauds de venir et les interpelle : “Allez, on y va tous ! Venez !”.

 

Il n’en fallait pas plus mais il le fallait : que quelqu’un se décide. Et c’est maintenant une douzaine de personnes qui entoure la voiture, petits et grands, hommes et femmes. Le grand monsieur a pris les choses en main : il répartit les bras autour de la voiture, indique où soulever la carrosserie sans l’abîmer et compte “Un, deux, trois”. Une 205, à douze personnes, ça se soulève facilement. “Un, deux, trois, on lève !” et la voiture se dégage. “Un, deux, trois, on recule !” et le groupe remonte le rivage par petit bout. “Un, deux, trois, on pose ! et la voiture est maintenant sur la sable sec, à l’abri de la marée. Et voilà, pas plus difficile. L’union fait la force. Il suffit de vouloir…

 

Le propriétaire de la voiture, Loïc, se confond en excuses et n’arrête plus de serrer les mains et de remercier. Particulièrement le grand et ses enfants qui ont déclenché le sauvetage.

 

Un tout petit peu plus tard, le père du malheur pilote arrive au volant d’un 4x4. La 205 est sauvée mais la remorque du bateau est toujours dans l’eau et il faut la sortir, ce qui fut fait rapidement. Et Loïc se dirige alors vers le grand monsieur et ses enfants qui se sont allongés sur la plage et vont se baigner. Il les remercie encore et demande : “Est-ce qu’un petit tour en bateau sur les îles de la baie vous plairait, à vous et à vos enfants ?”. La réponse est claire, c’est oui. Rendez-vous est pris pour le lendemain et ce fut une longue et belle promenade d’île en île. Les garçons ont pris la barre. Devenir capitaine un petit moment. Trop bien !

 

 

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